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Bruno Montels - Le présent est la fuite...



Bruno Montels
 
LE PRESENT EST LA FUITE DES SIGNIFICATIONS...
 
le présent est la fuite des significations et parfois j’ai un accès de sens parfois aussi quand tu me téléphones pour une lecture (où et quand ? payée ou non ?) plutôt que de relire un ancien texte (ce que je fais parfois pour reprendre d’une toute autre manière une lecture qui ne m’a pas convaincu pour essayer un nouveau déchiffrement ou tout simplement par pure paresse) ou écrire pour l’occasion je démêle ce qui se fabrique sur la table matière à donner de mes nouvelles je me demande comment lire ces phrases et je les transforme je hurle je lis sur tous les tons je trouve des prises des noeuds des intensités je souligne des mots accents virgules je marque des hoquets je gribouille annote
le jour de la lecture tout cela perd de son évidence je me jette alors dans le texte utilisant mon trac m’appuyant sur le souffle pour chercher des lignes de force me dégager décharger de la tension je titube dans la voix et je tente des variations comment ai-je pu le lire ? est-il lisible maintenant ? je suspends mon souffle entre ins- et expiration au point d’évanouissement je déplie les tempos j’accélère je ralentis j’accentue
une urgence me tient promesse de plaisir intensité due à l’engagement physique exacerbation d’une présence absence difficile à dire je tente d’arracher la voix (ce qui se dépose sans souci de la transcription d’un sens) de la page je n’entends ni ce que je lis ni les souffles seul le passage de l’air dans ma gorge m’emporte et je bourdonne résonne la lecture devient ce forçage de la voix légèrement décalée du texte éprouvant des distances pour laisser entendre la tension présence diffuse disposée et la dépenser
je suis à la trace l’énergie donnée par le sens et parfois d’un coup je bascule dans un point d’évanouissement je m’absente la lecture se fait toute seule saisi (mais trop saisi pour être souverain) moment intense où une forme (un rythme un ton des vitesses des hauteurs) surgit et s’impose dans le décadrage de la voix et des significations légère distance qui métamorphose le lieu de la lecture
et même dans le cas fréquent où l’énergie manque la grâce un battement ou une réserve s’entendent un suspens énervé la présence d’échos la convocation d’autres filets de voix d’autres maillages d’autres lectures et les auditeurs envieux de cette tension qu’ils portent confusément qu’ils reconnaissent qu’ils donnent et prennent sourdement haineux sont en quelque sorte les pères de ces lectures ils les fabriquent dans leur espace mental qu’ils discutent parfois avec gourmandise après est-ce si étranger au word spoken américain où défis et tensions sont marqués et où la parole tente de suspendre les conflits ? en savoir plus
parfois perdu dans les phrases la bouche sèche je m’embrouille je saute des lignes j’avale les mots j’enchaîne les lapsus j’entends trop les possibles du texte un n’importe quoi qui se glisse sous un autre n’importe quoi je bâcle je suis content d’en finir (mes meilleures lectures) et vite je m’arrache
c’est l’heure de ma leçon de calligraphie cent jours on me libère opportunément au printemps pour le reste de ma vie la joie sera ma préoccupation première pourquoi essayer de remonter les causes du malheur ? je crains que la joie d’année en année diminue comment imaginer qu’une tache de rouge puisse porter un printemps illimité ? ivre mes oreilles aiment le bruit de la pluie dans les pins troublés je me lève pourquoi serais-je gêné par les cailloux qui jonchent le chemin ? j’aime le tintement de ma canne qui les heurte appuyé sur elle j’écoute le son du fleuve sans limite
jaillit la fraîcheur nouvelle
devenir le son du fleuve
 
Note de jos-laj dürenn qui a retranscrit ce texte :
 
Ce texte de Bruno Montels est la transcription de sa lecture réalisée à Bernay (Eure) en 1998.
Nos choix pour établir le texte (parenthèses, découpages des paragraphes, ponctuation, etc) ont été guidés par le rythme imprimé à la performance et par un petit travail comparatif des textes parus en revue depuis Tartalacrème jusqu’à ceux plus récents dans Boxon et Maison Atrides & Cie. Malgré cela, nous savons que ce n’est qu’une version du texte, un possible...
 
Source : jos-laj dürenn

(vous trouverez sur ce blog plusieurs ouvrages numérisés de Bruno Montels)